
En visitant systématiquement les cimetières du golfe pour rédiger l’article prévu dans le dictionnaire, j’ai régulièrement constaté que les mairies y avaient fait afficher des avis concernant des tombes dont la concession « perpétuelle » ou pas était arrivée à échéance. Faute d’être prises en charge par la famille, les tombes allaient être vidées et proposées pour de nouvelles inhumations. Il est, certes, des tombes anonymes ou ne portant guère plus d’une croix et un nom. Mais il en est beaucoup d’autres qui portent la trace de plusieurs générations et, au travers d’elles, d’un pan de l’histoire des communes.
Comme l’écrit Jean-Didier Urbain (L’Archipel des morts, cimetières et mémoire en Occident, Payot & Rivages, 2005), « dans la cité invisible que sont les nouveaux cimetières (…) il n’y a plus de statuaire : les tombeaux, rarement plus hauts qu’un mètre, font comme un épais brouillard déposé sur le sol. À la lecture des épitaphes, s’impose le cauchemar de la décadence. Le cimetière du siècle dernier était bavard. Il parlait en abondance de ses morts, ses épitaphes s’affichaient comme des pages de romans où s’entremêlaient à l’infini récits et discours prolixes, biographies élogieuses et harangues majuscules à l’attention du passant. » L’auteur poursuit l’analyse en soulignant que dans les nouveaux cimetières les textes « sont des stéréotypes. Ils procèdent d’une écriture ” industrielle ” et nous les découvrons sans surprise. Leur fréquence est telle qu’ils ont perdu toute qualité informative », ils ne sont que « la trace d’un geste de conformité à l’ordre dominant du fantasme de la conservation, un fantasme que l’épitaphe n’exprime plus mais seulement contresigne… »
Les exemples de ce que dit Jean-Didier Urbain abondent autour du golfe mais ce que l’anthropologue n’évoque pas ici, c’est l’effacement continu des anciens cimetières. Ceux-ci ont été déménagés de longue date des abords des églises (celui de l’île d’Arz faisant figure d’exception dans ce domaine, ceux d’Arzon et l’Île-aux-Moines ne s’étant écartés que de quelques mètres).
Comme je l’ai déjà fait ailleurs, je souhaiterais plaider ici pour une prise en charge par leurs héritiers symboliques.Il y aura bientôt bien plus de propriétaires n’ayant aucun membre de leur famille dans le cimetière de leur commune de résidences (qu’elle soit principale ou secondaire) que de natifs entretenant une tombe au cimetière. Presque chaque tombe est en soi un monument historique, un élément du patrimoine, la prolongation naturelle des terrains et des maisons occupés désormais par des gens venus d’ailleurs. Á chacun de prendre en charge telle ou telle tombe. Sans abuser du détergent : les lichens font aussi partie de son histoire ! Sans abuser du désherbant : le muguet disparaîtrait ! Chaque tombe a une histoire et il faut la recueillir auprès de ceux qui la connaissent. Pourquoi ne pas imaginer que les associations patrimoniales locales doublent chaque cimetière réel d’un cimetière virtuel (avec version papier) où seraient conservées la photo et les inscriptions de chaque tombe.
(à suivre)